Extrait du Grand Dossier sur la corruption au Mali, publié dans Le Filon no 02 du 06 août 2012
Professeur
de lettres, consultant et analyste politique, Yayiri Diarra se livre à une
introspection de la société malienne contemporaine et sa progressive
contamination par le virus de la corruption, résultat direct de l’avènement
démocratique.
Par Yayiri Diarra
« Sous le
régime
de Modibo
KEITA,
le Malien
avait
honte
de voler.
Sous
le règne
de GM
T (Général Moussa Traoré), le
Malien
avait
peur
de voler.
Mais,
avec
l'avènement
de la
démocratie,
le Malien
n'a
ni honte
ni peur
de voler », résumait par une
boutade
un intervenant, lors du
fameux forum
sur
la corruption, en
2008, au
CICB, comme pour dire que
le mal
empire de
gouvernance antidémocratique en dictature autocratique.
Pour exorciser le mal, le premier
président du Mali indépendant, Modibo KEITA, avait initié « l'opération taxi »
en 1967, contre les fonctionnaires corrompus et autres « bourgeois compradores
» qui s'étaient indûment enrichis sur le dos du peuple laborieux des champs
ancestraux et des fabriques « clefs en main » venues, tout droit, des
républiques socialistes et révolutionnaires d'Europe de l'Est.
La culture du beau frère national
Moussa TRAORE (GMT), un jeune
lieutenant putschiste des années 1968, devenu en fin en règne général de corps
d'armées sans avoir livré une seule bataille victorieuse ni fréquenté une
quelconque académie militaire, ayant troqué le treillis contre le grand boubou
civil du parti unique UDPM, s’était découvert des vertus de justicier dans les
années 1980. A travers la Commission
nationale de lutte contre l'enrichissement illicite dont les mailles du
filet laissaient s'échapper les gros poissions pour ne retenir que les menus
fretins. Le népotisme, la culture du « beau frère national » et le couronnement
de « l'Impératrice » de la république – la Première Dame –a été alors le
précieux sésame pour ouvrir toutes les juteuses boites administratives,
politiques, économiques et commerciales du pays. C'est sous ce règne qu'on a
parlé de « villas de la sécheresse », construites avec le détournement de
l'aide internationale en faveur des victimes de la sécheresse en 1974-75.
Les fonctionnaires milliardaires
Avec Alpha Oumar KONARÉ (AOK), les
choses ont empiré. Ce « chantre » de la démocratie et de la bonne
gouvernance, véritable monarque républicain, a ramené la république à ses
pieds, faisant et défaisant les destins politiques et administratifs à sa
guise. Il a poussé le cynisme jusqu'à saborder son propre parti, l'ADEMA-PASJ,
pour installer au pouvoir, comme dans un jeu de ping-pong, le général ATT, son
prédécesseur-successeur, revenu au pouvoir en 2002 par la voie truquée des
urnes. Et ce, aux dépens du candidat tisserand du RPM, Ibrahim Boubacar KEITA
(IBK), spolié de sa victoire dès le premier tour avec un score de 52,04%. Il
l’a scandé publiquement au stade omnisports Modibo KEITA, en 2007. Mais, la
plus grande prouesse d’AOK en matière de gouvernance démocratique, comparé à
Modibo Kéita et à GMT, aura été la fabrique des « fonctionnaires milliardaires
» au nez et à la barbe des opérateurs économiques, condamnés à faire le
mendiant pendant les appels d'offres dont les dés sont pipés d'avance au profit
du « mieux disant sous la table » de
la corruption et de la prévarication.
Un décret, inspiré du ministre des Finances de l'époque, Soumaïla CISSÉ, a même été signé pour relever le plafond des marchés publics
soumis à compétition de 10 millions
à 250 millions FCFA, en dessous
duquel montant lesdits marchés peuvent être attribués de « gré à gré ». Ainsi, un marché de 1 milliard de FCFA peut être fragmenté
en 4 lots distincts de 250 millions FCFA attribués de gré à gré. Ayant
amassé tant d'argent en si peu de temps, il fallait trouver le moyen de
l'investir sur place, les paradis fiscaux n'étant pas « très sûrs » en ces
périodes de surveillance internationale plus accrue sur les pluies de dollars
qui pleuvent sur le pays pour « label démocratique satisfaisant » pour des
Nègres immatures en matière de joutes contradictoires avec la force de
l'argument primant sur l'argument de la force qui semble être leur seconde
nature.
Le projet ACI (Agence de Cession Immobilière) s'est révélé être le
meilleur créneau avec un des effets les
plus dévastateurs qui soit: la spéculation
foncière qui a fini par gangrener
tout le pays. Seuls les nouveaux
riches peuvent se faire loger à Bamako et les paysans, tout autour, sont
spoliés de leurs terres ancestrales par le biais des concessions rurales qui
sont ensuite transformées en titre
foncier « inattaquable » devant les tribunaux.
Comme pour se dédouaner en fin de
règne, AOK a commandité, en 2001, une étude auprès de la Banque mondiale dont
le rapport a conclu à la « CORRUPTION
SYSTEMIQUE AU MALI ».
En fait, c'était une peau de banane
sous le pied d’ATT pour le priver de la « prime à la démocratie» dont son
propre régime a bénéficié dix ans durant, émasculant du coup ses projets dignes
du « pimpant et du clinquant » comme les éléphants blancs goudronnés et
bétonnés.
Le
népotisme et l’ultra régionalisme
Ayant compris le manège et pour ne
pas être privé de cette manne financière internationale, le général-président
ATT a sorti de son béret rouge de commando-parachutiste, en 2004, après un saut
au Canada, le Bureau du Vérificateur
Général. La mission de ce dernier n'était pas de lutter contre la
corruption et la délinquance financière dans le pays, mais plutôt de servir « d'attirail » pour les bailleurs de
fonds étrangers et autres partenaires techniques et financiers qui ne sont
pas dupes de la supercherie consistant au double mauvais sort réservé au
vérificateur général, Sidi Sosso DIARRA, jeté en prison en lieu et place des
criminels à col blanc, et à ses rapports ayant déniché un manque à gagner de l'ordre de 338
milliards FCFA sur une vingtaine de
structures publiques et parapubliques inspectées ou contrôlées entre 2004
et 2011. Car, pour ATT, il n'est pas question « d’humilier des chefs de famille
» pourtant coupables de malversation financière et de prévarication au vu et au
su de tout le monde.
La particularité de ce régime est
qu'il cumule les tares politiques du règne GMT et de l'ère AOK: le népotisme le plus abject avec le régionalisme en prime. Mais aussi, la
corruption systémique sous le vernis démocratique et le sceau de la médiocrité
avec, en sus, l'incompétence la plus criarde. Tout se vend et tout s'achète: la voix électorale, le diplôme, le
recrutement dans la fonction publique et les forces armées et de sécurité.
Conséquence: le pays s'est désagrégé et a
craqué de toutes parts à telle enseigne que, après vingt ans de démocratie
pluraliste, le Mali est tombé de Charybde en Scylla en termes de libertés
fondamentales et de progrès socio-économique. Pour le plus grand nombre de
citoyens qui continuent à broyer du noir en tirant le diable par la queue.
Le
« kokajè
» (signifiant « laver propre » en bambara), le slogan rassembleur en 1991
pour faire chuter GMT et son régime UDMP, est plus que d'actualité pour
parachever une révolution confisquée par
des « démocrates convaincus et patriotes sincères » avec la prouesse de
faire démentir l'histoire universelle des peuples.
Au lieu que ce soit la révolution
qui mange ses propres enfants, ce sont les rejetons de la révolution qui ont
avalé celle-ci, sans vergogne, en usant du « ôte-toi de là que je m'y mette ». Déboulonner le système de
corruption et de prévarication, ils n'en n'avaient cure.
Par Yayiri DIARRA