NB :
ceci est un article que j’ai publié dans le quotidien malien, ’’Le Républicain’’ no 571 du lundi 5 juillet 1999, suite à un incident
sociopolitique, comme mentionné dans l’article. Aujourd’hui, je décide le
republier, à cause du débat qui enflamme Bamako en ce moment, parce qu’un
journaliste malien a déclaré que l’Arabie Saoudite est à la source du
terrorisme dans le monde, en complicité avec les Occidentaux.
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Les
conditions dans lesquelles a été annulée la finale du concours Miss ORTM donne
lieu à un débat de société : une religion doit-elle être imposée aux
citoyens dans un état laïc ?
« Chaque fois que je rencontrais la
religion dans ma vie, je trouvais le désaccord, la lutte, la tentative d’un
individu ou d’un groupe de gouverner l’autre au nom de Dieu. La convoitise du
pouvoir semblait toujours marcher dans le sillage d’un cantique.», écrivait
l’écrivain afro-américain Richard Wright dans son célèbre roman
autobiographique ’’Black boy’’.
Ceci pour dire que, sans préjuger du
bien ou du mal fondé d’une religion, les dérapages en la matière sont légion.
L’histoire nous édifie sur toutes les horreurs perpétrées par des religieux au
nom de Dieu. Le terrorisme perpétré en Algérie par le Groupe Islamique Armé
(GIA) n’en est-il pas une parfaite illustration ?
Certains disent que ceux qui tuent,
asservissent ou martyrisent au nom de Dieu ont une conception erronée de la
religion. Soit ! Mais, est-on jamais à l’abri d’une telle conception? S’il
est vrai que chaque individu est personnellement comptable de ses fautes devant
Dieu, pourquoi vouloir en imposer aux autres? Par quel miracle un individu ou
un groupe d’individus s’arrogent le droit d’édicter et d’imposer des règles aux
autres, au nom de Dieu? Au risque par la force et la terreur?
Au Mali, un pays laïc et se voulant de
surcroit démocratique, on a l’impression que le fait religieux relève d’un
rapport de force. Surtout au niveau de l’islam. En témoigne la lettre adressée
par M. Diaby (le président de l’Association islamique socialiste et populaire)
au président de la République Alpha Oumar Konaré. C’était au sujet de
l’annulation du concours de beauté Miss ORTM (Office de Radio et Télévision du
Mali). Il a écrit : « Je vous interpelle si vous êtes un Président
musulman ! Monsieur le Président, en tant que président du Mali et président musulman du Mali, et le
Mali est membre de l’Organisation de la conférence islamique. Comment vous
laissez les petites mafias syndicalistes de l’ORTM organiser le satanique
concours Miss ORTM le jour même du Maouloud de notre Grand Prophète (Psl) le 26
juin 1999 ? En tout cas, ce n’est pas l’argent des ONG pro-occidentaux
comme Vision mondiale internationale, AEN et Plan international qui peut
éradiquer l’islam d’Allah. Même l’émission islamique à la télé, les nuits de
vendredi, a été sabotée par les agents de Baly Idrissa Sissoko dit petit-frère
de Ramos de GMT (Général Moussa Traoré)… »
Si ce n’est pas de la menace, ces propos
y ressemblent à y s’y méprendre. Qui disait qu’on était dans un État laïc et
démocratique?
Il est raisonnable, dans un souci de
ménager les susceptibilités religieuses des musulmans, de décaler
l’organisation du concours Miss ORTM. C’est le bon sens qui le recommande.
Mais, dit sur le ton qu’emploie M. Diaby, ce discours suscite des inquiétudes
et des interrogations. Où tout cela va nous mener? Se dirige-t-on vers un État
intégriste qui se fera sur le dos des «mécréants» ?
Le penseur Cioran écrivait: « Lorsqu’on
se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le sang coule…
Sous les résolution fermes se dresse un poignard ; les yeux enflammées
présagent le meurtre…» Or, au Mali, il semble qu’on ne peut plus penser
différemment sans être taxé de mécréant ou de cafre. Discuter même de l’islam
devient chose taboue. Comme s’il fallait se contenter de tout ingurgiter sans
chercher à comprendre. Faire fi de sa capacité de raisonnement et opter pour
l’instinct grégaire. Pourquoi donc Dieu nous a dotés de la faculté de réfléchir
et de choisir? En vérité, si risque de débauche il y a dans notre société, les
islamistes doivent s’interroger et chercher la réponse à leur niveau. Car,
c’est à défaut de convaincre qu’on cherche à vaincre.
Nul n’ignore les bienfaits que la
religion, quelle qu’elle soit, peut apporter à l’individu. Croire en un Dieu et
l’adorer est souvent source d’équilibre pour l’individu. La religion,
incontestablement, donne un sens à la vie. Encore faut-il arriver à cette
croyance, cette grâce, cette lumière! Et ce ne sont pas toutes les
contradictions qu’on rencontre chez les hommes de culte qui facilitent cette
découverte.
Mon confrère Mory Touré du journal ’’Le
Malien’’ a écrit ces vérités: « Les frères musulmans continuent de demander le
retrait de certains téléfilms, selon eux, non conformes à nos mœurs et coutumes
qu’ils savent si bien intégrer à la religion selon que le cas les arrange ou
pas. D’innombrables fois, nos frères musulmans ont démontré que la télévision
et la radio constituent un enjeu non négligeable dans leur lutte d’imposition
de la doctrine.» (voir ’’Le Malien’’ no 349 du 28 juin 1999 : ’’Alpha
annule la finale de Miss ORTM’’.).
C’est dire qu’il y a un problème
d’interprétation de l’islam au Mali. On l’interprète selon les besoins de la
cause. Toujours est-il qu’on a l’impression que la tendance dominante consiste
à tuer tout instinct de vie chez l’individu. En diabolisant tout ce qui peut
être source de plaisir. Comme si l’islam était synonyme d’ascétisme.
Hormis le fait qu’on a trop tendance à
occulter que l’islam lui-même est une valeur importée chez nous, c’est
l’anachronisme dont on l’entache qui rend sa pratique difficile. Or, Roger
Garaudy, penseur français converti musulman, dont on connaît la compétence et la
sincérité en la matière, nous met en garde contre ce danger. Dans son
’’Testament philosophique’’, il rappelle un écrit de Cheikh Ibrahimi: « Le pire
défaut de ceux qui adoptent la culture occidentale, c’est une ignorance totale
des valeurs de l’islam, et le pire défaut de ceux qui se réclament de la
culture islamique est une ignorance totale des problèmes et des exigences de
notre siècle.»
Garaudy s’explique: dans la perspective
islamique, où la foi est inséparable des lois de la communauté, le problème majeur
est de découvrir comment l’islam peut se « moderniser » sans imiter l’Occident.
Et pour atteindre ce but, il faut décaper d’une gangue millénaire de
ritualisme, de légalisme étroit, de littéralisme la lecture du Coran et de la
Sunna. Et, écrit-il: « La loi ne peut se pétrifier alors que la vie, qu’elle a
pour mission de façonner selon le dessein de Dieu, qui a fait de l’homme son
calife, est en perpétuelle métamorphose… La ’’Sharia’’, ce mode de vie dominé
par le souci d’accomplir le dessein de Dieu, n’implique nullement la sclérose
d’une répétition figée des règles qui ont magnifiquement régi la vie de la
communauté islamique il y a un millénaire, mais au contraire l’effort créateur
pour modeler les sociétés d’aujourd’hui, dans des conditions historiques
radicalement nouvelles, selon le message éternel de l’islam.»
Tout le problème est donc d’échapper au
double piège d’une intégration aveugle du modèle occidental ou d’un refus
global de tout ce qui n’est pas la tradition médiévale islamique.
Au Mali, autant les islamistes sont
prompts à condamner certains comportements, autant ils observent un silence
coupable sur un grand nombre de problèmes sociaux. Comme la mendicité des
enfants organisée par des maîtres coraniques, la condition des femmes dans les
ménages polygamiques, la situation difficile des populations face à la flambée
des prix des denrées de première nécessité, etc.
Les associations musulmanes étaient
fondées à réagir vigoureusement face à la crise énergétique (les délestages
intempestifs de l’Énergie du Mali). Mais, on n’a enregistré aucune réaction de
leur part. Et face aux abus de nos hommes d’État, les hommes de culte n’ont pas
toujours répondu aux attentes. Sous le règne du Général Moussa Traoré, semble
t-il, un imam disait aux citoyens: «
Laissez-le en paix. C’est Dieu qui l’a choisi pour le pouvoir. Vous n’y
pouvez rien!»
Tout ceci pour dire que nous aspirons
tous au paradis. Et ceux d’entre nous qui semblent «égarés» n’attendent que
l’aide des hommes de culte pour trouver le droit chemin. Encore faut-il
qu’eux-mêmes s’y prennent habilement. Pourquoi donc chercher à reformer
l’homme, à le récréer, au lieu de l’instruire tout simplement ?
MF Kantéka