NB: pour une mystérieuse raison, une grande partie de ce texte avait été censurée sur mon blog et refusait de s'afficher! Ces parties censurées démontrent l'imposture relative au mythique personnage Son Djata, présenté à tort comme un héros ayant aboli l'esclavage. Plus que cela, il démontre les réalités cachées derrière ce titre de Son Djata qui recouvre une multitude de règnes.
Dans ses deux
derniers numéros, le mensuel "Le Filon d'or" a consacré un dossier sur
"L’esclavage au Mali, d’hier à aujourd’hui" qui s’attaque à un tabou
et plonge carrément dans l’Inconscient collectif malien. Ce peuple de riche
histoire, se réfère encore à son passé pour se situer dans le présent. Au plan
interne, ce réflexe passéiste se traduit souvent par un malaise social,
certains cherchant à se rehausser au détriment d’autres, revendiquant à cet
effet un statut de « maîtres » s’adressant à leurs
« esclaves ». Qu’en est-il dans la réalité historique?
Une partie de ce
brûlant dossier traite de ce fléau sous l'Empire manding:
L’histoire du
Mali est parsemée de traces de l’esclavage. Ce fait historique est exploité par
la tradition orale, tantôt pour expliquer les expéditions punitives de Soumahoro qui serait « entré au
Manden » pour mettre fin à ces pratiques barbares ; tantôt pour bâtir
la légende du mythique Sondjata qui l’aurait
aboli. Le livre Odyssées noires/Amours et
mémoire d’Outre-monde va plus loin en démontrant que l’esclavage n’a jamais
été aboli au Manden où il était devenu une véritable institution.
Dans sa
bouleversante enquête, s’appuyant sur une multitude de sources, l’attention de
l’auteur est d’abord attirée par un extrait du livre Le fils du lion, signé par la Française Marie-France Briselance,
affirmant s’inspirer du grand griot traditionniste de Krina Wa Kamissoko, et
brossant le portrait suivant:
“ Les brigands musulmans qui pillent les
villages bénéficient de la complicité des
roitelets locaux. Aux alentours de l'an 1200, le pays mandingue était morcelé en plus de quarante petits royaumes dont les
souverains se donnaient le titre de mansa. Mais plus que des rois, ces mansas
étaient en fait des chefs de bandits de
grands chemins, qui détroussaient les voyageurs. Derrière chaque village
passait ce qu'on appelait alors “ le
petit chemin de la trahison ”, le chemin où l'on dresse des embuscades. Les malchanceux, ceux qui ne couraient pas
assez vite pour échapper aux pillards, sont emmenés dans les villes marchandes
du Sahel pour être vendus comme
esclaves aux commerçants maures ou arabes. De là, ils sont conduits à
travers le désert jusqu'aux villes d'Afrique du Nord ou d'Égypte. Si quelqu'un
s'indignait de cette façon d'agir, il s'entendait répondre: “ Les poissons se mangent entre eux, et pas
seulement par gourmandise, car les gros poissons mangent naturellement les
petits. ”
Et la française d’ajouter : “ Soumaoro, le roi du Sosso, se décide donc à
mettre fin à cet état d'anarchie. ” Ainsi, motivé par ce noble dessein,
Soumahoro serait venu au Manden, aurait rassemblé les quarante roitelets et
leur aurait tenu ces propos: « Nous
devons empêcher les brigands de capturer les Malinkés pour les vendre aux
Maures. Sinon bientôt ce pays cessera d'exister, car il n'y aura plus un seul
habitant au Mandé. Il faut nous battre, déclarons la guerre aux ennemis de
notre peuple! »
La Française s’inspire du récit de Wâ
Kamissoko, livré lors d'un colloque organisé à Bamako en 1975 et regroupant de
nombreuses autorités intellectuelles d'Europe et d'Afrique dont Amadou Hampâté
Bâ, Djibril Tamsir Niane. Il a été retranscrit dans un ouvrage, intitulé La grande geste du Mali, cosigné par
l’ethnologue malien Youssouf Tata Cissé. Outre le récit du griot, il y a aussi
une partie consacrée aux questions-réponses qui viennent éclairer le sujet.
Wâ Kamissoko
affirme effectivement que: « Si
Soumaworo est entré dans le Manden à la tête de ses troupes, il ne l'a fait que
pour les deux raisons suivantes: mettre fin à l'asservissement des Malinkés par
les Maures dans le Sahel; combattre l'esclavage des Malinkés par les Markas (Sarakolés
ou Soninkés) qui se les procuraient non
par voie de guerre, mais parce qu'ils étaient, un à un, capturés au Manden pour
leur être vendus.» (La grande geste
du Mali, p 201)
Il s’étendra
ensuite sur la description des pratiques esclavagistes sévissant au
Manden : « Auparavant, devenait
mansa (au Manden) celui qui, dans un
petit coin donné, et pendant un laps de temps donné, venait à bout des autres
ou prenait de l'ascendant sur eux. Voilà la cause de la diminution de la
population du Manden... Ce sont les Malinkés eux-mêmes qui tombaient les uns
sur les autres: ceux qui venai
Mountaga
Fané Kantéka
Le même récit
accuse Toura Makan ou Tiramakan d’avoir capturé et vendu
un nombre impressionnant de personnes.
(Ibid., p 203) Il en est de même pour Fakoli qui possédait dans
la province du Solon, sur la rive
droite du Niger, tout un pays peuplé
d'esclaves appelé Doundougou
(terres privées), comprenant les villages de N'Golobala, Karassonna,
Sokondjala. Tous des villages du Manden ! Le griot rappelle qu'à l'époque,
le sel étant une denrée très rare, la plupart des esclaves étaient échangés aux
Sarakholés (Marka) contre du sel. « Oui,
le sel noir que l'on extrait du sol
et qui sert de nos jours de nourriture
aux ânes, mais qui, en ces temps-là, constituait au Manden un aliment de choix pour les hommes »,
précise-t-il. Et, continue-t-il, tout
parent de Fakoli qui avait quelques soucis de condiment se rendait dans le
Doundougou, mettait le mors dans la bouche de la première personne qu'il
rencontrait sur son chemin, la conduisait dans le pays marka ou dans le Sahel,
pour l'échanger contre du sel qu'il rapportait au Manden pour assaisonner sa sauce.
Le réservoir
d'esclaves de Fakoli porterait
de nos jours encore son nom de
Doundougou, et ses habitants celui de Doundougoukay, « gens du Doundougou ». Et
le griot avertit : « Toute personne qui dévoilerait l'origine
véritable de ce canton serait immédiatement
chassée du pays. Oui, le
Doundougou constituait le réservoir d'esclaves à vendre de Manden-Fakoli en
personne. »
Et selon Wâ Kamissoko l'un des villages de
Doundougou s'appelait Sokondjala, situé près du mythique Dakadjalan (Djakadjala) où, selon le même récit, Sondjata avait
son trône. Un village fondé par Fakoli
Doumbiya qui fit venir des différents villages du Doundougou des hommes
et des femmes qu'il installa tout près de Dakadjalan, afin qu'il n'ait plus à
faire le va-et-vient pour de simples prix
de sel ou de bière, car « il commencerait par eux », « n'bi sôkô ay ma yen », dès que le besoin se ferait sentir. D’où le
nom de Sokondjala. Et le griot de
résumer : « Bref, dès qu'il
n'avait plus de bière ou de sel
Fakoli envoyait un de ses hommes de main se saisir d'un habitant de Sokondjala
pour satisfaire ses besoins. Tels étaient les agissements de Manden Fakoli
lui-même. » (Ibid., p 205).
L’institutionnalisation de l’esclavage
sous le règne de Sondjata
Ce que ne dit
pas Wâ Kamissoko est que ces pratiques esclavagistes ont continué sous le règne
du mythique Sondjata. Sinon comment
comprendre que Sondjata ait aboli
l'esclavage et qu’en même temps Fakoli,
esclavagiste déclaré, avait son réservoir d'esclaves à côté de Dakadjala? Et
comment comprendre aussi que Sondjata,
entouré de deux impitoyables esclavagistes – Fakoli et Tiramakan – qui
« lui servaient d'hommes de main pour ses assassinats politiques », avait en
même temps mis fin à ce fléau?
Sans même savoir
que les titres Fakoli et Tiramakan sont des dédoublements du
titre Sondjata (dont la légende se
sert pour égarer les profanes), on peut déjà comprendre que cette pratique
esclavagiste, avouée par le griot de Krina, se faisait avec l’assentiment de Sondjata.
Et cette réalité
se déduit des échanges ayant lieu entre Wâ Kamissoko et certains intervenants
du colloque qui allaient le piéger par d'insidieuses questions.
Un certain
Kalilou Téra allait d’abord l’interpeller en ces termes: « Les griots du Manden ne parlent jamais des guerres saintes que les Arabes et les Berbères menèrent contre le pays des Noirs. Pour quelles raisons?
Les griots ignoraient-ils jusqu'à l'existence de ces guerres ou bien
s'interdisent-ils d'en parler? D'autre part, chacun sait aujourd'hui que les
Malinkés conservent aujourd'hui leurs us
et coutumes et leurs cultes.
Peut-on dire que c'est pour sauvegarder
ces institutions que Soumaworo
combattit? J'aimerais, pour terminer, savoir si Soumaworo n'a pas fait de la
prise d'esclaves sa seconde occupation après que les Malinkés eurent repoussé
sa proposition de lutte commune contre les esclavagistes, dans la mesure où
nous savons que son neveu Fakoli possédait
de nombreux esclaves. » (Ibid., p 235)
Très incommodé
par ces questions, Wâ Kamissoko commença à s’impatienter:
« À présent que l'on me pose des questions sur
les guerres que les Arabes eurent à mener contre ce pays, je peux en dire
quelques mots. Mais si je n'en ai pas parlé jusque-là, c'est que l'on ne m'a
pas posé de questions là-dessus, et en parler équivaudrait à parler de tout et
de rien. D'ailleurs « quand on se rend à un festin auquel on n'a pas été convié
et qu'on y casse un vase, on exigera de vous de le coudre. » Le jour où vous
aurez besoin de ce récit, appelez-moi pour m'interroger: je vous dirais alors
ce que j'en sais. En attendant, je ne
veux pas parler de tout et de n'importe quoi; j'ai du reste, énormément de
choses à dire à propos de ce qui a déjà été écrit. C'est la réponse que je
donne à cette première question... »
Cependant, il ne
se fit pas prier pour disculper Soumahoro :
« Quant à la troisième question, Soumaworo ne possédait pas d'esclaves,
et aucun esclave ne l'aida dans ses
guerres. Fakoli ne possédait pas non
plus d'esclaves quand il quittait le Sosso pour venir s'installer au Manden.»
Ainsi, c’est en
« rejoignant » le Manden et Sondjata
que Fakoli devint un
esclavagiste !
C’est avec
l’intervention Amadou Hampâté Bâ que
les choses allaient se corser pour le griot de Krina, contraint à faire des
révélations établissant la responsabilité du mythique Sondjata dans l’esclavage au Manden.
Un certain André
Salifou donna le coup d'envoi à ce duel de titans, en posant, entre deux
interrogations, cette brûlante question:
« D'où provenaient les chevaux du
Manden ? »
Wâ Kamissoko
répondit: « En ce qui concerne l'histoire du cheval, on peut dire
qu'elle commença au Manden, avec l'ère
de Sundyata qui envoya Wourê-Wourê Souleymani acheter de nombreux chevaux
au Djolof (Sénégal)… Et c'est entre les mains des Markas (Sarakholé) que nos
ancêtres virent pour la première fois le cheval. Pour se procurer des chevaux,
et ceci depuis hier jusqu'à ce jour d'aujourd'hui, les Maninkas (Mandenka) se
rendent auprès des Markas. » (Ibid., p 269)
Cette réponse claire et précise était le
prélude aux révélations fatales. Et c'est à cet instant précis que Amadou Hampâté Bâ, décida de se mêler à
la danse, avec sa malice de Peul, demandant au griot: « Quelle est, dans la tradition du Manden, l'origine première du cheval
? »
Désireux de
conserver l'omerta, Wâ Kamissoko éluda la question d'emblée: « Le jour où Dieu voudra, dit-il, nous vous dirons ce que nous savons au
sujet de l'origine du cheval. »
Et Hampâté Bâ,
empruntant un détour, revint à la charge avec cette autre brûlante question:
« Et quelle est l'origine première de l'esclavage ? »
Le griot esquiva
encore habilement: « L'esclavage
n'a qu'une seule origine: celui qui se refuse à résister et qui se laisse
capturer par autrui, devient l'esclave de celui-ci. »
Hampâté Bâ,
encore plus subtil, déjoua avec une habileté de maître l'attention du méfiant
griot assermenté: « Autrefois au Manden, quels étaient les objets qui servaient aux échanges commerciaux ? Était-ce le
métal-argent, l'or, les cauris, ou autres objets ? »
Wâ Kamissoko, un
peu plus détendu, s'avança : « D'après
nos traditions, l'usage des monnaies commença avec l'emploi des cauris; cela
remonte aux temps de nos premiers ancêtres. Les pièces en argent, wari djè,
«monnaie blanche », remplacèrent les cauris, et ces pièces furent à leur tour
remplacées par les pièces en laiton, wari blen,
«monnaie rouge ». Enfin, les billets de banque se répandirent en cette
ère des Blancs. »
Poursuivant la
même logique, Hampâté Bâ revient nonchalamment à son obsession:
« J'aimerais quand même que tu nous dises, ne
serait-ce qu'une bouchée de mots, un conte, un adage ou une boutade, à propos
de l'origine première du cheval.
J'aimerais également que tu nous dises sous
le règne de quel roi débuta chez nous, au pays des Noirs, l'histoire du
cheval. »
Et, pour
exprimer au griot ses bonnes intentions, il ajouta: « Les Bambaras disent: « Tu sais des choses que je ne connais pas; tu ne
connais pas des choses que je sais. »
Sensible à ces
propos, le maître de la parole piqua la tête la première dans le piège tendu par le malicieux Peul:
« Selon nos traditions, nous
Malinkés, avons pour la première fois vu le cheval entre les mains de Mama Dinka, ancêtre des Soninkés: tel est le début de
l'histoire du cheval. En ce qui concerne l'achat
des chevaux, les gens du Manden avaient recours aux services des marchands d'esclaves. À l'époque, un cheval valait dix à vingt esclaves. S'il fallait tant de personnes pour acquérir
un cheval, c'est parce que cet animal n'est pas un produit de chez nous.
D'ailleurs, ceux qui disposaient de beaucoup d'esclaves ignoraient jusqu'au
nombre de personnes qu'il fallait pour se procurer un cheval: ils donnaient au marchand le nombre
d'esclaves qu'il leur demandait, en échange d'une monture exceptionnelle. »
(Ibid., p 273)
Voilà le secret
définitivement éventé! Le griot du Manden est tombé dans le
piège tendu par le Peul! Voilà que cet habile griot, sans même s'en douter,
vient de trahir Sondjata, le roi-esclavagiste.
Récapitulons-donc!
Le griot reconnaît que pour ce qui de l'histoire du cheval, « on peut dire
qu'elle commença au Manden, avec l'ère de Sundyata qui envoya
Wourê-Wourê Souleymani acheter de nombreux chevaux au Djolof (Sénégal). »
On savait déjà avec les récits de l' Ensemble instrumental du Mali et de Gawlo Madani cette histoire
d'émissaires envoyés à Dyara ou au Jolof pour acheter des chevaux, des
émissaires interceptés à leur retour par Djolofin
Mansa qui leur aurait réservé de mémorables sévices, ayant donné lieu à de
croustillantes anecdotes épiques.
Mais dans ces
récits, on ne rapporte pas explicitement que « l'histoire du cheval au Manden a commencé avec l'ère de Sonjata
». C'est un détail qui vaut son pesant d'or si l'on se reporte au deuxième
élément de la révélation du griot: la monnaie
d'échange pour se procurer le cheval – les esclaves!
Parce que si
l'histoire du cheval au Manden a commencé avec Sonjata, et que c'est l'esclave qui servait de monnaie d'échange,
la logique voudrait que Sonjata ait
eu recours à des esclaves pour les
échanger contre des chevaux. Et puisqu'il fallait beaucoup d'esclaves – 10 voire 20 esclaves pour un cheval –, Sonjata a dû sacrifier beaucoup de monde pour pouvoir se procurer
beaucoup de chevaux. Donc, non seulement
Sonjata n'a pas mis fin à
l'esclavage, mais, mieux encore, c'est sous son règne que ce fléau a amorcé sa
vitesse de croisière, atteignant une proportion jamais encore connue dans le
Manden. Et c'est malheureusement cela la vérité. La triste vérité! Sinon,
comment expliquer toutes ces conquêtes
dont on crédite Sonjata? Peut-on
faire tant de conquêtes sans chevaux? Surtout si l'on sait que la furia de Sonjata s'est étalée d'un bout à l'autre
de l'Afrique occidentale. Sans chevaux de race, et en grande quantité, ces
conquêtes de Sonjata seraient choses impossibles à réaliser.
Nous trouvons la
confirmation de cette réalité dans
le volumineux ouvrage de Joseph
Ki-Zerbo: « Soundjata avait arrêté
les droits et devoirs de chacune des ethnies associées. Trente clans furent
constitués dont 5 d'artisans, 4 de guerriers, 5 de marabouts et 16 d'hommes
libres dits cependant « les esclaves de
la collectivité »: ton dyon.
C’étaient des paysans soldats qui
fournissaient la dîme humaine de
fantassins en cas de guerre. Les
conquêtes firent proliférer rapidement
la catégorie des esclaves dont la
plupart, en tant que serfs, artisans
ou paysans, travaillaient pour le souverain et étaient astreint à l'endogamie. Seul le souverain leur
donnait l'autorisation de se marier
en dehors de la caste. Mais alors,
il versait une dot aux parents de la
partie non castée afin que les enfants,
issus du mariage, demeurent des serfs de
son domaine. » (Ki-Zerbo, L'histoire de l'Afrique Noire, p 134)
II- Sonjata,
l'esclavagiste protégé par l'omerta
Plus
que la démonstration des pratiques esclavagistes de l’empereur manding, cet
extrait du livre Odyssées noires
brise carrément le mythe en dévoilant les réalités qui se cachent derrière ce
titre « Sonjata ».
C’est un point crucial donnant lieu à la
plus grande et la plus basse imposture
historique du Mali, poussant l'ethnologue Youssouf Tata Cissé au geste le plus téméraire qui puisse se faire:
aller jusqu'à sortir un ouvrage avec un acte
d'abolition de l'esclavage comme étant l'œuvre de Sonjata : un petit livret publié chez Albin Michel, courant 2003, intitulé La Charte du Mandé et autres traditions du Mali.
C'est en fait un
petit livret de 32 feuilles signé du nom d’Aboubakar
Fofana, un calligraphe-plasticien malien vivant à Paris. Le livre est signé
de son nom et orné de ses œuvres picturales, mais le texte qui l'accompagne est
de Youssouf Tata Cissé.
Qu’en est-il de cette mythique Charte du Mandé ?
La Charte du Mandé ! Examinons un peu
maintenant de quoi il en retourne. Écoutons-donc l’entrée en matière de
l’ethnologue Youssouf Tata Cissé:
« Le document qui suit et auquel je donne le titre de Charte du
Mandé est la traduction d'un récit qui m'a été transmis en 1965 par Fadjimba Kanté. Il était alors
patriarche des forgerons de Tèguè-Kôrô, et chef de la "confrérie des
chasseurs" de cette localité du cercle de Kangaba, à cent vingt kilomètres
au sud de Bamako, capitale du Mali.»
Ce qui frappe
tout de suite dans ces propos, c'est le ton
péremptoire avec lequel l’ethnologue Youssouf Tata Cissé décrète que son document porte le titre de « Charte du Manden ». Comme
s’il s’autoproclamait constituant ! Décréter ainsi « Charte du Mandé » un
document basé sur le témoignage oral d’un homme dont on ne sait pas
grand-chose? Où allons-nous de ce pas ?
Passé cet
instant de dépassement devant cette attitude aussi suspecte qu’arrogante, on se
heurte d’emblée à une première contradiction par rapport au résumé
qu'on peut lire au dos de ce petit ouvrage:
“ Au XIIIe siècle, alors qu'il achève la construction de l'empire du Mali,
Soundiata Kéita réunit les notables
afin qu'ils établissent une charte de
vie commune. Transmise de génération en génération, la Charte du Mandé est fondée sur les valeurs encore profondément
ancrées dans la société soudano-sahélienne. ”
Voyez-vous la
contradiction ? Pourtant l’ethnologue Youssouf Tata Cissé affirme que
c'est lui qui a décidé de donner le titre de « Charte du Mandé » à ce récit
déniché dans un obscur bled. Et en dos de couverture du livre, on affirme que
c'est Sonjata qui a réuni les
notables pour établir une « charte de vie commune ». La question est de savoir si ce fameux document s'appelait-il déjà «
Charte du Mandé » ou est-ce que c'est l'ethnologue qui, après avoir déterré ce
témoignage, décide de lui donner ce titre ! C'est l'un ou
l'autre ! Qu'il choisisse donc entre les deux versions.
La deuxième chose qui frappe dans son
discours est la date 1965 ! De
1965 à 2003, il s'est passé exactement 38 ans ! Alors, l’ethnologue attend
38 ans pour sortir un petit texte
qui ne tiendrait pas sur deux feuilles virtuelles! Un texte d'une telle
importance historique! En 38 ans, il peut se passer bien des choses! Alors vous
imaginez qu'en 38 ans, le patriarche Fadjimba
Kanté, qui lui aurait livré ce récit, a eu largement le temps de mourir. Or, un mort ne peut témoigner !
La troisième chose qui frappe est
l'habileté avec laquelle il s'y prend en désignant comme l'auteur de ce récit
un Forgeron Kanté, qui de surcroît
est patriarche et chef d'une confrérie de chasseurs. Ainsi, ce téméraire
monsieur, pour donner plus de caution à sa trouvaille, nous fait croire que
c'est un Kanté, patriarche et chef d'une confrérie de chasseurs qui
lui aurait fait ce récit!
Des contradictions insolubles et des contre-vérités historiques
Plus que tous
ces détails inconfortables, la quintessence
même de cette fameuse Charte du Mandé
est sujette à caution.
Prêtons-donc un peu d’attention au contenu:
« Mes maîtres initiateurs de Kiniègoué, un
village voisin, venaient de m'envoyer auprès de ce grand traditionaliste afin
qu'il m'entretienne en m'informant de l'œuvre des "chasseurs" à travers les âges... À la question de
savoir quelle était, selon lui, l'œuvre
majeure de la "confrérie des chasseurs", Fadjimba (Kanté)
répondit sans hésitation: « L'abolition
de l'esclavage ». Devant mon étonnement, maître Fadjimba poursuivit d'une
voix grave et solennelle: « C'est au nom du credo de leur société, la donso
ton, une confrérie de type maçonnique qui prêche la fraternité universelle,
l'amour du prochain, la droiture morale et spirituelle, la protection et la
défense des pauvres et des faibles contre l'arbitraire et la tyrannie que, en
accord avec leurs alliés, les chasseurs, dont le titre de gloire est Sanènè ni Kontron denw, "les
enfants de Sanènè et Kontron", conçurent la présente charte. »
Que
l'association des chasseurs du Mali décide de s'opposer aux horreurs de
l'esclavage, il n'y a rien d'étonnant à cela. Les chasseurs du Mali font certainement partie de la petite
minorité de citoyens qui sont restés authentiques et imperméables aux
corruptions des vents étrangers.
Mais qu'est-ce que Sonjata a à y voir? Pourquoi attribuer l’œuvre des
chasseurs à Sonjata Écoutez
encore l’explication alambiquée de l'ethnologue Yousssouf Tata Cissé:
« Appelée d'abord Donson Kalikan,
"Serment des chasseurs", puis Dunya makalikan, "Injonction au
monde", cette déclaration fut
solennellement proclamée, dans Dakadjalan,
la première capitale de l'empire du Mali, sous le nom de Manden Kalikan, le Serment du Manden. C'était le jour de l'intronisation de Soundjata Kéita,
le fondateur de l'empire du Mali. »
Quelle énorme contradiction encore ! Il
parle maintenant du « jour de l'intronisation
de Soundjata Kéita» ! Ce n'est donc plus au moment où « il achevait la construction de l'empire du
Mali »? Entre « l'intronisation de Sonjata
» et le prétendu « achèvement de la construction de l'empire du Mali », il
s'est certainement écoulé beaucoup de
décennies. Et si l'on s'en tient au récit du fameux Wâ Kamissoko, le règne de Sonjata aurait duré 40 ans. Presqu'un demi siècle!
Encore une
contradiction insurmontable ! Comment peut-on, dans un si court texte,
dire que Sonjata fut l'auteur de l'initiative abolitionniliste à deux dates si éloignées! Non seulement, à
travers ce récit qu'il attribue au patriarche Fadjimba Kanté, l'ethnologue
Yousssouf Tata Cissé affirme que c'est la confrérie des chasseurs qui aurait
décrété cette « Charte », tout en affirmant que c'est Sonjata qui aurait réuni les notables afin qu'ils établissent une
charte de vie commune, il soutient à la fois que ladite Charte aurait été
proclamée le jour de l'intronisation et au moment où il achevait la
construction de l'empire du Mali. Que de contradictions insolubles en si peu
d'espace!
Mais le plus fort, c’est quand il affirme
ceci : “ Nous sommes en 1222, et la comète dite comète de
Halley illumine alors le ciel du Mali... ” Il a bien dit 1222? Décréter
l’intronisation de Sonjata à la date de 1222, c’est assurément la plus grande imposture historique
résumée en une simple et unique phrase.
Jusqu'à présent,
la version officielle situe la mythique « Bataille de Krina » à 1235,
date qui consacre le début du règne de Sonjata. Chez tous les historiens ou
supposés tels, aussi bien Djibril Tamsir
Niane que Joseph Ki-Zerbo ou
autres grands « spécialistes ». Et l’étonnant griot-diplomate guinéen Namankoumba Kouyaté, qui a écrit le
magnifique texte sur le Balafon magique de Niagassola, fait lui aussi remonter
le début du règne de Soumahoro sur le Manden à 1205, et
ayant fini 30 ans après, en 1235. Le récit de Wâ Kamissoko, La grande geste
du Mali, donne aussi comme durée
du règne de Soumahoro Kantè, 30 ans,
3 mois et 3 jours. L'ethnologue Youssouf Tata Cissé lui-même, dans ses propos
introductifs à ce récit, parle de 34 ans.
Ne dit-on pas aussi que la fameuse constitution
de Kouroukan-Fougan, le « partage du monde », ne daterait de 1235, le jour même, juste après la fameuse « Bataille de Krina »?
Nous savons par
ailleurs qu'avant cette « Bataille de Krina », Sonjata n'était rien du tout. Il était en exil, un exil qui aurait duré 7 ou 17 ans, selon les récits. Wâ
Kamissoko lui-même parle de 17 ans. Et voilà maintenant que l'ethnologue Youssouf
Tata Cissé vient nous parle de 1222. Ce qui semble plus probable, c'est que la mythique « Bataille de Krina », si jamais
elle a lieu un jour, se serait déroulée en 1235. Avant cette date Sonjata
n'avait aucun pouvoir politique.
Ce n'était qu'un pauvre exilé,
chassé de sa terre natale et traqué par la
méchanceté de ses propres frères
mandenka. Sonjata n'était pas encore politiquement né.
Selon la version officielle!
Un calcul impossible à réaliser
Pour couronner
ce ramassis de contre-vérités, l’ethnologue Youssouf Tata Cissé lui-même, dans
une note de bas de page de la fameuse Grande
geste du Mali, apporte antérieurement un cinglant démenti à ses nouvelles allégations mensongères: “ Ainsi Soundjata
serait mort en 1257, soit, d'après
la tradition, quarante ans après sa
victoire sur Soumaworo et trente ans
après être effectivement monté sur
le trône. Depuis cet événement, qui coïncida avec l'apparition de la comète
Halley, celle-ci serait revenue neuf fois dans le ciel du Manden, la dixième
devant intervenir en 1986. ”
Amusons-nous
donc à faire un petit calcul ! Sonjata serait mort en 1257, soit quarante ans après sa «
victoire » sur Soumahoro. Ce calcul donnerait cela: 1257 - 40 = 1217. Donc, ce serait en 1217 que la mythique « Bataille de Krina » aurait eu lieu,
selon l'ethnologue.
Amusons-nous un
peu encore ! Sonjata serait mort
en 1257, trente ans après son intronisation. 1257 - 30 = 1227. Donc, selon toujours la même hypothèse, c'est
1227, la « date de l'intronisation » de Sonjata.
Aucune de ces deux dates ne rejoignent
ce fameux « 1222 ».
Mais examinons
plutôt un autre détail capital dans ce passage: l'intronisation de Sonjata qui ne serait intervenue que dix ans après sa soi-disant victoire
sur Soumahoro. Si on maintient la date de 1235 comme celle de la « Bataille de
Krina », et que Sonjata a mis dix ans avant d'être intronisé, cela nous ramène
à 1245, comme date d’intronisation de Sonjata.
Dans aucune hypothèse, on n'arrive à cette
fameuse date de 1222. Seul Youssouf Tata Cissé sait comment y arriver. Il va
falloir qu'il nous explique cette nouvelle méthode de calcul.
La vérité cachée dans les contradictions
C’est une
question qui a été abordée brièvement dans Odyssées
noires…, mais qui est développée dans les ouvrages à venir!
Pourquoi Sonjata aurait mis dix ans avant d'être
intronisé? En
vertu de quelle tradition ou de quelle logique? Pourquoi mener une si difficile
« bataille » contre un si dur adversaire, et attendre dix ans, avant d'être
intronisé? Avez-vous déjà vu un putschiste
attendre dix ans avant d'être intronisé? Dix
ans à attendre quoi? Dix ans à attendre en vain une légitimité jusqu'à ce que l'autre
Sonjata vienne le chasser du pouvoir au terme du yèlèma kèlè, la longue guerre de changement? Un premier Sonjata intrônisé en 1235 et qui se fait supplanter ensuite par un deuxième larron, dix ans plus tard? Ce
scénario expliquerait bien des contradictions et de confusion (au propre et au figuré) qu'on retrouve dans les
différents récits.
Ceci pour dire
que Sonjata ou Fakoli ne désignent pas quelqu’un en particulier. Ce sont des titres métaphoriques, fabriqués par la
tradition orale pour désigner un ensemble
de règnes caractérisés par la rupture
avec l’Ancien ordre, celui des vrais Pères fondateurs du Manden – les Soumahoro-Pères.
C’est avec les règnes successifs des souverains du Nouvel Ordre que l’esclavage a été institutionnalisé au Manden. Cette réalité est
cachée dans les paraboles chantées par les griots dont le Vieux Lion du Manden Bazoumana Sissoko dans ce
refrain :
Djata, m'bè Djata dé ma
Djata kotigui yalembè
Minou bè kèlè kè
Olou ka kèlè kè
Minou bè djago kè
Olou ka djago kè
Djata, Djata kotigui yalembè!
Traduction :
Djata, c'est Djata que j'évoque,
Djata a pris les affaires en main!
Que ceux qui font la guerre
Fassent la guerre!
Que ceux qui font le commerce
Fassent le commerce!
Djata a pris les affaires en main!
Passons
maintenant à l'interprétation ! Le Vieux Lion Bazoumana Sissoko salue
l'avènement de Sondjata comme la liberté désormais acquise pour les
habitants du Manden de vaquer à la
guerre et au commerce, à leur guise. Cela veut dire d'abord que ces
habitants n'avaient pas ou n'avaient plus cette liberté de faire la guerre et
le commerce. Or, nous savons qu'à l'époque, la guerre servait surtout à faire
des captifs pour aller les vendre
aux marchands d'esclaves. Comme nous le verrons plus tard avec l'esclavage
transatlantique, la cause première des
guerres tribales résidait dans l'ambition de faire le plus d'esclaves possibles. Guerre et commerce étaient
intimement liés, le dernier ne pouvant pas exister sans la première. Or,
pendant plus de trente ans, ce juteux commerce fut fortement contrarié par le
Roi-Forgeron qui empêchait les caravanes et les pirogues de circuler, tout en
obligeant les gens à se terrer chez eux. Ces pauvres diables terrorisés
prenaient même la précaution de parler dans les gourdes pour que leurs paroles
ne soient transportées par le vent jusqu'à lui. Donc, maintenant que Djata a
pris les choses en main, l'économie
marchande-esclavagiste peut à nouveau s'engranger. Maintenant que
l'empêcheur de tourner en rond est parti, vous pouvez vaquer sereinement à vos
occupations. C'est cela que chantait le claivoyant griot-aveugle. Toute la
Vérité de l'histoire de l'Empire de Massakèla se trouve résumée en ces quelques
mots.
Cette liberté de faire la guerre et le commerce
d'esclaves, allait être réglementée selon
les intérêts du nouveau mansa, qui allait plus tard devenir empereur.
Un extrait d'un
autre livre d'Histoire intitulé Histoire
générale de l'Afrique du XIIe et XVIe siècle, édité conjointement par
Présence africaine, Édicef et l’Unesco
qui a imposé à des historiens africains
« d'aborder l'étude de l'Afrique avec plus
de rigueur, d'objectivité et d'ouverture d'esprit, en utilisant entre
autres — avec les précautions d'usage — les sources africaines elles-mêmes... » Et Djibril Tamsir Niane et Joseph Ki-Zerbo
étaient les directeurs de cette étude commandée et commanditée par l’Unesco!
Ils ne se firent
donc pas prier pour rendre certaines vérités ! Ainsi, écrirent-ils :
« La victoire
de Krina n'était pas un simple combat heureux: elle scellait l'alliance des clans rassemblés à Sibi; elle assurait au Mali l'héritage
de l'empire du Ghana dans le Soudan occidental; elle ouvrait enfin la voie à
l'expansion arabe. »
Et cette
confession aussi: « C'est ce dernier
point que retiennent les auteurs arabes comme Battùta sans faire état de la victoire de Krina qui a rendu possible l'islamisation massive de Bilàd
al-Sudàn [la Terre des Nègres].
»
Bref, une façon explicite de dire que le
(s) règne (s) de Sonjata (w) a consisté à vendre
le Mali aux arabes !
C’est la raison pour laquelle on
retrouve encore l’esclavage sous le
règne de Kankan ou Kankou Moussa (un autre Sonjata) qui a vidé l’Empire du Mali de ses
richesses lors d'un onéreux pèlerinage
à la Mecque où il se fit accompagner par un impressionnant cortège d'esclaves transportant sur leur tête des lingots d'or et autres présents
destinés aux seigneurs arabes qu'il
voulait éblouir et s'attacher la sympathie…