EUX ET NOUS - Par Diomansi Bomboté, journaliste (Mali) | ||||
Mon cher Ibrim,
Lorsqu’un peuple décide, le destin est obligé de suivre dit la sagesse
populaire. Durant des semaines, tu as été à l’écoute de ce peuple qui a
décidé de te confier son destin. Tu pourrais considérer cette
consécration comme une offrande de l’histoire qui, de ton vivant déjà,
t’offre une certaine forme d’acquittement au regard des péripéties
électorales passées, émaillées de contestations, auxquelles tu as pris
part. Accepte un petit clin d’œil en forme de coquetterie en rappel de
vieux souvenirs humanistes et qui résume si bien la force d’obstination
dont tu savoures l’aboutissement heureux : « Labor omnia vincit
improbus » (Un travail opiniâtre vient à bout de tout). Une récompense
qui n’est certes pas une fin en soi.
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Un
vieux Mali agonisant laisse entrevoir un nouveau Mali qui ne doit pas
trop tarder à émerger du clair-obscur de l’aube qui enveloppe le pays
depuis des lustres. Le temps est donc venu de rassembler toutes les
forces qui aspirent véritablement à faire entrer le Mali dans une ère
nouvelle. Te voilà au pied du mur, un mur hanté par des monstres
glapissants aux mille facettes : la faim et la soif, la maladie et
l’ignorance, les menaces qui pèsent sur la laïcité pourtant garantie par
la constitution, l’absence de culture démocratique, de culture
humaniste tout court que complètent l’arrogance de la justice de la
force sur la force de la justice, le mépris de la compétence favorisant
le gain facile, la vénalité vainqueur de la noblesse de l’effort, la
volonté de puissance individuelle sur l’égalité entre les citoyens de
toutes conditions.
C’est en prenant des initiatives inédites et courageuses, sans être
tenaillé par la phobie de l’impopularité, que tu créeras les conditions
minimales d’un Etat digne de ce nom, un Etat fort, adossé à des
institutions fonctionnelles dépouillées de leur gangue d’anachronismes
décadents. Pas un Etat mesquin, suffisant et terroriste dont les
serviteurs seraient hautains, prétentieux et corrompus. Un Etat fort qui
mette un terme au malaise anarchique unanimement dénoncé. Mais cet Etat
doit aussi savoir se garder d’abus afin d’éviter que sa force, au lieu
de rassurer, de sécuriser, n’incarne la crainte et l’oppression, en
mettant notamment en péril les libertés fondamentales. De ce point de
vue, il est essentiel que force et légitimité cherchent à s’équilibrer
mutuellement.
Le Mali pourrait être guetté par le syndrome sénégalais. La victoire du
Président Macky Sall est revendiquée avec plus ou moins d’intransigeance
par une paternité plurielle. En effet, cette victoire a été obtenue par
une imposante coalition de partis politiques tous s’estimant en droit
de revendiquer une participation à l’exercice du pouvoir. Des
convoitises, certaines véhémentes, ont failli compromettre le
fonctionnement normal des institutions sénégalaises. Un tel risque, en
principe, ne devrait pas exister au Mali à la suite du ralliement
généralisé, à la limite de la décence, de fractions partisanes
quasi-insignifiantes à ta cause.
Entre les deux tours, sur 28 candidats au départ, une vingtaine (moins
de 10% des votes) t’a fait allégeance. Cet apport a peut-être contribué à
amplifier ta victoire, mais en réalité dans une proportion si peu
déterminante. Au-delà de ta personne, le peuple malien dans sa grande
diversité ne voulait rien savoir d’autres que la rupture radicale avec
un passé systématiquement et sans discernement voué aux gémonies,
faisant fi de la débauche de projets mirobolants plus ou moins
chimériques, même si certaines propositions pertinentes gagneraient à
être reprises par la nouvelle équipe.
Si la sincérité de certains ex-candidats pourrait convaincre, il est
évident que d’autres ralliés cherchent manifestement à s’abriter de
l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de leur tête à cause de la
présomption de graves malversations dont ils sont soupçonnés ou tout
simplement parce qu’ils aspirent à émarger au partage de l’exercice du
pouvoir. A cet égard, tu as manifestement accepté une camisole de force
dont tu aurais pu te passer, au nom de la morale politique ou au moins
d’une certaine éthique qui te caractérise aux yeux de nombre de Maliens.
Car plusieurs de ces transhumants qui pourraient s’avérer encombrants
sont des obligés notoires d’un système de gestion du pouvoir avec lequel
tu avais semblé prendre tes distances.
« Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m'en charge »
disait Voltaire. Oui, mais, où sont les « ennemis » ? Depuis
l’accession du Mali à l’indépendance, c’est la culture du « parti
unique » qui a prévalu dans le pays. Soit parce que le régime en place a
tout mis en œuvre pour réprimer toute tentative d’opposition, soit,
délibérément, les hommes politiques ayant majoritairement opté pour un
consensus castrateur, ont laissé au chef en place le champ libre de
jouer sur du velours.
Réduire considérablement la part envahissante de l’émotionnel dans la
conduite des affaires publiques relève des travaux d’Hercule dans un
pays aux allures de vase communicant. Hélas, le changement radical de
comportement tant souhaité par tous est malheureusement interprété avec
une grande liberté par les Maliens, chacun estimant ne pas être concerné
et jugeant avoir tous les droits y compris ceux des autres, sans la
moindre obligation. « L’enfer, disait Sartre, c’est les autres ». Le
nouvel homme fort malien doit pourtant faire sienne cette réflexion d’un
dirigeant sénégalais « Nul n’est doué de bonté s’il n’est capable de
fermeté ».
Cet homme nouveau doit s’investir avec beaucoup de volontarisme et sans
faiblesse dans la consolidation des équilibres des pouvoirs en donnant
leurs lettres de noblesse au législatif et au judiciaire. Le
renforcement des institutions de la République, voire leur réforme,
doivent se fonder sur cet impératif catégorique ou alors les tentatives
de changement seront vouées à l’échec car elles auront alors trahi les
attentes majeures des Maliens. De la force de ces institutions
dépendront prioritairement la lutte contre la corruption qui domine et
gangrène le fonctionnement de la société malienne et l’instauration d’un
véritable Etat de droit qui est au cœur de toutes les aspirations.
En fait, de là, découlent toutes les autres formes de malaise. Y compris
les velléités irrédentistes d’une partie de nos frères touaregs. A la
vérité, tous les Maliens sont des Touaregs ! Nous sommes tous des
Touaregs. Les conditions d’existence difficiles, amplifiées ou non, dont
se plaignent les populations du Nord, et pas seulement certains milieux
touaregs, constituent le lot de toutes les régions du Mali, victimes
d’une gabegie indécente des maigres ressources nationales.
Diomansi Bomboté, journaliste (Mali) Source: http://www.sudonline.sn/du-vieux-mali-au-mali-nouveau_a_15144.htmlLe chantier prioritaire consistera donc à prendre à bras-le-corps une véritable décentralisation pour venir à bout des frustrations qui font le lit de toutes les contestations ouvertes ou latentes du pouvoir central de Bamako. Juste une suggestion : si l’administration centrale consentait des avantages consistants aux fonctionnaires affectés dans les régions arides du Nord ceux-ci ne passeraient pas le plus clair de leur temps à inventer des subterfuges pour retourner dare-dare à Bamako. Il suffit de s’inspirer de modèles existants : le traitement de faveur accordé aux agents américains envoyés en Alaska où la neige sévit huit mois sur douze ou encore la pratique de l’indemnité d’ajustement liée au lieu d’affectation dans les institutions onusiennes. Le chantier-Mali demandera la mobilisation de toutes les couches sociales. Car c’est un leurre de penser que le Mali se bâtira sans les Maliens. Nelson Mandela, à la suite de Mahatma Gandhi, ne disait-il pas : « Ce que vous faites pour nous sans nous, vous les faites contre nous ». Mais cette indispensable participation populaire pour donner le coup de fouet décisif à l’effort de renaissance et de reconstruction nationales, exigeant d’immenses sacrifices de tous, dépendra essentiellement de la sincérité dont les gouvernants feront preuve dans la gestion transparente des ressources nationales. La plupart des nouveaux arrivants à Paris l’expérimentent à leurs dépens : toutes les richesses culturelles qu’ils n’auront pas visitées au cours de six mois passent généralement par pertes et profits, étouffées par d’autres urgences. Il en est de même de l’état de grâce d’un président nouvellement élu. Les décisions hardies ne doivent pas attendre au risque d’être noyées dans une routine inhibitrice. Le temps passe si vite ! Pour paraphraser le majordome d’Auguste Comte (fondateur de la philosophie positiviste) à son réveil, souffrez que je vous dise cher ami : « Débout Monsieur le Président ! Les grandes œuvres pour la reconstruction du Mali vous attendent » ! | l |