samedi 27 août 2022

LA RELIGION DOIT–ELLE S’IMPOSER PAR LA TERREUR ?

NB : ceci est un article que j’ai publié dans le quotidien malien, ’’Le Républicain’’ no 571 du lundi 5 juillet 1999, suite à un incident sociopolitique, comme mentionné dans l’article. Aujourd’hui, je décide le republier, à cause du débat qui enflamme Bamako en ce moment, parce qu’un journaliste malien a déclaré que l’Arabie Saoudite est à la source du terrorisme dans le monde, en complicité avec les Occidentaux.

 

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Les conditions dans lesquelles a été annulée la finale du concours Miss ORTM donne lieu à un débat de société : une religion doit-elle être imposée aux citoyens dans un état laïc ?

 

« Chaque fois que je rencontrais la religion dans ma vie, je trouvais le désaccord, la lutte, la tentative d’un individu ou d’un groupe de gouverner l’autre au nom de Dieu. La convoitise du pouvoir semblait toujours marcher dans le sillage d’un cantique.», écrivait l’écrivain afro-américain Richard Wright dans son célèbre roman autobiographique ’’Black boy’’.

 

Ceci pour dire que, sans préjuger du bien ou du mal fondé d’une religion, les dérapages en la matière sont légion. L’histoire nous édifie sur toutes les horreurs perpétrées par des religieux au nom de Dieu. Le terrorisme perpétré en Algérie par le Groupe Islamique Armé (GIA) n’en est-il pas une parfaite illustration ?

 

Certains disent que ceux qui tuent, asservissent ou martyrisent au nom de Dieu ont une conception erronée de la religion. Soit ! Mais, est-on jamais à l’abri d’une telle conception? S’il est vrai que chaque individu est personnellement comptable de ses fautes devant Dieu, pourquoi vouloir en imposer aux autres? Par quel miracle un individu ou un groupe d’individus s’arrogent le droit d’édicter et d’imposer des règles aux autres, au nom de Dieu? Au risque par la force et la terreur?

 

Au Mali, un pays laïc et se voulant de surcroit démocratique, on a l’impression que le fait religieux relève d’un rapport de force. Surtout au niveau de l’islam. En témoigne la lettre adressée par M. Diaby (le président de l’Association islamique socialiste et populaire) au président de la République Alpha Oumar Konaré. C’était au sujet de l’annulation du concours de beauté Miss ORTM (Office de Radio et Télévision du Mali). Il a écrit : « Je vous interpelle si vous êtes un Président musulman ! Monsieur le Président, en tant que président  du Mali et président musulman du Mali, et le Mali est membre de l’Organisation de la conférence islamique. Comment vous laissez les petites mafias syndicalistes de l’ORTM organiser le satanique concours Miss ORTM le jour même du Maouloud de notre Grand Prophète (Psl) le 26 juin 1999 ? En tout cas, ce n’est pas l’argent des ONG pro-occidentaux comme Vision mondiale internationale, AEN et Plan international qui peut éradiquer l’islam d’Allah. Même l’émission islamique à la télé, les nuits de vendredi, a été sabotée par les agents de Baly Idrissa Sissoko dit petit-frère de Ramos de GMT (Général Moussa Traoré)… »

 

Si ce n’est pas de la menace, ces propos y ressemblent à y s’y méprendre. Qui disait qu’on était dans un État laïc et démocratique?

Il est raisonnable, dans un souci de ménager les susceptibilités religieuses des musulmans, de décaler l’organisation du concours Miss ORTM. C’est le bon sens qui le recommande. Mais, dit sur le ton qu’emploie M. Diaby, ce discours suscite des inquiétudes et des interrogations. Où tout cela va nous mener? Se dirige-t-on vers un État intégriste qui se fera sur le dos des «mécréants» ?

Le penseur Cioran écrivait: « Lorsqu’on se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le sang coule… Sous les résolution fermes se dresse un poignard ; les yeux enflammées présagent le meurtre…» Or, au Mali, il semble qu’on ne peut plus penser différemment sans être taxé de mécréant ou de cafre. Discuter même de l’islam devient chose taboue. Comme s’il fallait se contenter de tout ingurgiter sans chercher à comprendre. Faire fi de sa capacité de raisonnement et opter pour l’instinct grégaire. Pourquoi donc Dieu nous a dotés de la faculté de réfléchir et de choisir? En vérité, si risque de débauche il y a dans notre société, les islamistes doivent s’interroger et chercher la réponse à leur niveau. Car, c’est à défaut de convaincre qu’on cherche à vaincre.

 

Nul n’ignore les bienfaits que la religion, quelle qu’elle soit, peut apporter à l’individu. Croire en un Dieu et l’adorer est souvent source d’équilibre pour l’individu. La religion, incontestablement, donne un sens à la vie. Encore faut-il arriver à cette croyance, cette grâce, cette lumière! Et ce ne sont pas toutes les contradictions qu’on rencontre chez les hommes de culte qui facilitent cette découverte.

 

Mon confrère Mory Touré du journal ’’Le Malien’’ a écrit ces vérités: « Les frères musulmans continuent de demander le retrait de certains téléfilms, selon eux, non conformes à nos mœurs et coutumes qu’ils savent si bien intégrer à la religion selon que le cas les arrange ou pas. D’innombrables fois, nos frères musulmans ont démontré que la télévision et la radio constituent un enjeu non négligeable dans leur lutte d’imposition de la doctrine.» (voir ’’Le Malien’’ no 349 du 28 juin 1999 : ’’Alpha annule la finale de Miss ORTM’’.).

 

C’est dire qu’il y a un problème d’interprétation de l’islam au Mali. On l’interprète selon les besoins de la cause. Toujours est-il qu’on a l’impression que la tendance dominante consiste à tuer tout instinct de vie chez l’individu. En diabolisant tout ce qui peut être source de plaisir. Comme si l’islam était synonyme d’ascétisme.

 

Hormis le fait qu’on a trop tendance à occulter que l’islam lui-même est une valeur importée chez nous, c’est l’anachronisme dont on l’entache qui rend sa pratique difficile. Or, Roger Garaudy, penseur français converti musulman, dont on connaît la compétence et la sincérité en la matière, nous met en garde contre ce danger. Dans son ’’Testament philosophique’’, il rappelle un écrit de Cheikh Ibrahimi: « Le pire défaut de ceux qui adoptent la culture occidentale, c’est une ignorance totale des valeurs de l’islam, et le pire défaut de ceux qui se réclament de la culture islamique est une ignorance totale des problèmes et des exigences de notre siècle.»

 

Garaudy s’explique: dans la perspective islamique, où la foi est inséparable des lois de la communauté, le problème majeur est de découvrir comment l’islam peut se « moderniser » sans imiter l’Occident. Et pour atteindre ce but, il faut décaper d’une gangue millénaire de ritualisme, de légalisme étroit, de littéralisme la lecture du Coran et de la Sunna. Et, écrit-il: « La loi ne peut se pétrifier alors que la vie, qu’elle a pour mission de façonner selon le dessein de Dieu, qui a fait de l’homme son calife, est en perpétuelle métamorphose… La ’’Sharia’’, ce mode de vie dominé par le souci d’accomplir le dessein de Dieu, n’implique nullement la sclérose d’une répétition figée des règles qui ont magnifiquement régi la vie de la communauté islamique il y a un millénaire, mais au contraire l’effort créateur pour modeler les sociétés d’aujourd’hui, dans des conditions historiques radicalement nouvelles, selon le message éternel de l’islam.»

 

Tout le problème est donc d’échapper au double piège d’une intégration aveugle du modèle occidental ou d’un refus global de tout ce qui n’est pas la tradition médiévale islamique.

Au Mali, autant les islamistes sont prompts à condamner certains comportements, autant ils observent un silence coupable sur un grand nombre de problèmes sociaux. Comme la mendicité des enfants organisée par des maîtres coraniques, la condition des femmes dans les ménages polygamiques, la situation difficile des populations face à la flambée des prix des denrées de première nécessité, etc.

 

Les associations musulmanes étaient fondées à réagir vigoureusement face à la crise énergétique (les délestages intempestifs de l’Énergie du Mali). Mais, on n’a enregistré aucune réaction de leur part. Et face aux abus de nos hommes d’État, les hommes de culte n’ont pas toujours répondu aux attentes. Sous le règne du Général Moussa Traoré, semble t-il, un imam disait aux citoyens: «  Laissez-le en paix. C’est Dieu qui l’a choisi pour le pouvoir. Vous n’y pouvez rien!»

 

Tout ceci pour dire que nous aspirons tous au paradis. Et ceux d’entre nous qui semblent «égarés» n’attendent que l’aide des hommes de culte pour trouver le droit chemin. Encore faut-il qu’eux-mêmes s’y prennent habilement. Pourquoi donc chercher à reformer l’homme, à le récréer, au lieu de l’instruire tout simplement ?

 

MF Kantéka