jeudi 6 août 2020
ANALYSES ET VOYANCE POLITIQUES (2e Partie): LA FAILLITE D'IBK
Vingt et un ans plus tôt, après le pamphlet décoché contre IBK (article "IBK se trompe-t-il d'époque?"), qui fit pâlir son étoile, je revenais un mois et un jour plus tard avec un autre article moins centré sur sa personne et plus axé sur sa gouvernance, en tant que Premier ministre d'AOK (Alpha Oumar Konaré). Après quelques tergiversations, le journal a jugé que cet article, moins virulent que le premier, mais non moins critique , était « publiable », sans qu'il y ait lieu de crier au scandale. Peut-être que son propriétaire Tiébilé Dramé s'est fait tordre le bras au niveau de la présidence, pour qu'il m'accorde plus de latitude pour faire descendre de son piédestal IBK qui n'était plus en odeur de sainteté sur la colline du pouvoir dont le principal locataire (lui aussi « victime » de ma plume par le passé) voulait le démettre de ses fonctions. Ou peut-être que le directeur de publication, Ibrahim Traoré, voulait en découdre avec son employeur (Tièbilé Dramé) qui ne cessait de l'humilier, en lui imposant la présence de son ami (le confrère ami d'IBK) et en s'attaquant à lui devant les autres journalistes. Toujours est-il que mon 2e article anti-IBK se fraya un passage dans les annales du Mali, en proie aux turbulences sociales et aux intrigues politiques.
Comme vous pourrez le constater, il n'y a pas une grande différence entre le Premier ministre IBK d'hier et le Président IBK d'aujourd'hui. Le Mali continue à tournoyer dans la spirale du même cycle infernal.
L'ÉCHEC DU « GOUVERNEMENT D'EXCELLENCE»
(publié le lundi 28 juin 1999 dans "Le Républicain", à Bamako)
Le triomphalisme est un péché en politique. Car, en la matière, les choses vont vite. Très vite. Si vite que l'espace d'un temps, on peut dégringoler. Héros d'hier, on se retrouve paria d'aujourd'hui, conspué par ceux-là mêmes qui nous acclamaient. Pour l'avoir oublié, IBK, avec son gouvernement autoproclamé « d'excellence », se trouve pris dans la nasse.
« Vous êtes excellent! » Ces mots résonnent encore dans mes oreilles. C'était il n'y a pas deux ans encore. Et ils émanaient de députés fraîchement élus pour qualifier le Premier ministre IBK, lorsque ce dernier procéda à la présentation, devant l'Assemblée nationale, de la politique générale du gouvernement. Un gouvernement qu'IBK lui-même n'hésitait pas à appeler « gouvernement d'excellence ». C'était le bon temps. IBK, le vent en poupe, claironnait urbi et orbi: « Je ne suis pas le chef d'un gouvernement fantoche.» ou encore: « Je ne suis pas le chef de gouvernement d'une démocratie bananière… Maintenant, ce pays a rompu avec les pratiques ayant cours en son sein par le passé. » C'était du beau IBK, ça! Maniant à merveille la langue de Molière, pour ne pas dire de Cicéron. Un IBK grandiloquent à souhait et triomphaliste sur les bords. Aussi bien dans les propos que dans la gesticulation. Tirant gloire d'une politique tape-à-l'oeil, plus soucieuse d'impressionner que de résoudre les questions de fond. Les vraies questions!
En effet, si le gouvernement d'IBK pouvait se targuer de certaines réalisations en matière d'infrastructures (salles de classes, hôpitaux, routes, maisons à usage d'habitation…), certaines questions demeuraient plus que jamais posées. C'était l'emploi des jeunes. C'était l'administration de la justice, pilier de la démocratie. C'était la bonne répartition des ressources nationales. Car la corruption n'avait jamais été aussi criarde, notamment dans l'attribution des marchés publics. Et, malgré la construction d'hôpitaux, les soins restaient encore inaccessibles au plus grand nombre de citoyens. Soit parce que ces hôpitaux étaient sous-équipés, soit parce que les médicaments étaient trop chers, soit parce que ceux qui prodiguent les soins demeuraient corrompus et à la solde des riches. Et, malgré la construction des salles de classe, les années scolaires demeuraient encore perturbées par les incessantes grèves que le gouvernement d'IBK matait à coups de gaz lacrymogène. Avec sa politique plus basée sur les muscles que sur le dialogue. C'est d'ailleurs cette politique musclée qui fut à la base de sa gloire éphémère. Certains voyaient en lui le sauveur du régime d'Alpha Oumar Konaré. Sans voir, qu'en fait, l'homme ne faisait qu'une gestion ponctuelle de la crise scolaire au lieu d'un règlement durable du problème.
La nomination d'IBK, au poste de Premier ministre, faisait suite à celle de deux autres. Le premier, Younous Touré, avait été nommé pour sa formation d'économiste afin de rassurer les institutions financières internationales et les encourager à investir dans notre pays fraîchement démocratisé. Le second, Abdoulaye Sékou Sow, l'avait été pour sa neutre coloration politique et son tempérament de conciliateur afin d'apaiser la tension politique dans le pays. Et IBK, qui venait en troisième position dans un contexte social surchauffé par les incessants mouvements estudiantins, n'avait guère le choix. Il devait sévir. Et fort. Puisqu'il avait été nommé pour cela.
Mais, balayant du revers de la main toutes ces considérations, IBK se voyait comme étant le sauveur de la République. D'ailleurs ne lui ronronnait-on pas à l'oreille qu'il était le messie? Et puisqu'en plus de cela, tous les indicateurs étaient au vert. Les chiffres ne plaidaient-ils pas pour lui? Cité bon bon élève du FMI (Fonds Monétaire International), le pays affichait une croissance (selon les chiffres) qui le faisait envier par les voisins. Alors même que la pauvreté continuait à ronger les populations. Alors même que les denrées de première nécessité devenaient de plus en plus coûteuses. Alors même que de jeunes cadres dynamiques et talentueux sillonnaient les rues en quête d'emplois introuvables. Dans un pays où tout reste pourtant à faire. Un pays en friches!
Eh bien, la vérité finit toujours par montrer son nez. Très vite, on se rendit compte que l'homme, bourgeois autoproclamé, ne dédaigne pas le confort, multipliant à souhait les dépenses d'apparat et de prestige. Dans un pays aussi pauvre! On a parlé de la somme vertigineuse de 800 millions investis dans la seule réfection de sa maison. De 700 millions de facture de téléphone, etc. Et l'homme traînait derrière lui des élections bâclées qui ont englouti 15 milliards et plongé le pays dans des contestations qui ont failli le déstabiliser. Mais, c'est surtout la crise énergétique, que le pays connaît depuis plusieurs années déjà et qui a atteint son acuité cette année, qui a définitivement entamé le prestige éphémère d'un IBK plus seul que jamais. Comme l'écrivait si bien un confrère de la place, « l'excellence ne se décrète pas ». Mieux, on ne peut pas exorciser les rudes réalités par les mots. Et ce n'est pas avec la rhétorique qu'on fait la « politique d'excellence ». L'histoire nous apprend que Cicéron lui-même, qui a porté l'éloquence latine à son apogée dans ses plaidoyers, se révéla un médiocre politicien. Vaniteux à l'excès et toujours à la remorque d'un homme politique.
IBK a tout simplement oublié que la politique est une question de prévention et non de gestion ponctuelle. Une affaire de prospective et non de bricolage. Sa politique n'aura finalement été qu'une construction de maison en banco où l'on colmate les brèches au fur et à mesure qu'elles se présentent. Et recommencer la même besogne à la moindre pluie. La « politique d'excellence » n'a pas besoin d'être clamée sur les toits. On la voit tout de suite. On l'a vue au Burkina-Faso avec Thomas Sankara qui, en quatre ans de règne, a fait subir une métamorphose à ce pays, tant au niveau des infrastructures qu'au niveau de la qualité de vie des citoyens. Surtout au niveau de la mentalité du Burkinabé qui a une conscience aigüe de la chose publique. Lui avait compris que la politique dans un pays pauvre n'est pas une sinécure, qu'il fallait être un apôtre de l'abnégation. Accepter de suer avec le peuple. Et ne pas surtout avoir une conception jouisseuse du pouvoir.
L'humilité recommande en ce moment à IBK de faire son mea culpa et de tirer sa révérence.
Signé: Mountaga Fané
Vous remarquerez que, mis à part certains détails, ce portrait de la situation, fait 21 ans auparavant, correspond point par point à celui d'aujourd'hui, après 7 ans de règne du Président IBK. Avec en prime, l'hécatombe enregistrée par l'armée malienne, l'essor du grand banditisme, la corruption encore plus galopante, le népotisme comme on en n'a jamais vu au Mali, les grèves à répétition, les tueries de manifestants politiques et de simples citoyens. Bref, la faillite totale du pays. Avec à la clé la même question finale: le départ réclamé d'IBK.
Cependant, avant d'en arriver là, j'avais aussi prédit qu'IBK serait Président du Mali, malgré sa disgrâce auprès du président Alpha Oumar Konaré. Officiellement, il démissionnait en février 2000. Officieusement, il était poussé à la porte par les intrigues machiavéliques du Chef d'orchestre de Koulouba, le prince AOK, héritier de Nicolas Machiavel. Celui que j'avais surnommé Le Florentin. Et j'avais quitté Le Républicain dans des conditions assez cocasses, au grand dam de Tièbilé Dramé (pris à son propre piège) qui s'était débarrassé du directeur de publication, Ibrahim Traoré, pour le remplacer par un sous-fifre, avec la consigne de bloquer mes articles problématiques. Et je les donnais au journal Le Malien qui les publiait et les mettait à la UNE. C'est ainsi que je retournai à ce journal de mes débuts où j'avais une totale liberté de manoeuvre, sans même me donner la peine de présenter ma démission à Tièbilé Dramé. Je lui dis seulement d'en tirer les conséquences, quand j'étais allé le trouver au siège de son parti politique (PARENA) pour exiger le paiement de mes arriérés de salaire, en présence de Djiguiba Keita dit PPR. Et ma réclamation était assortie d'ultimatum. Heureusement qu'il s'est exécuté…
Revenu au bercail avec Le Malien, je donnai libre cours aux articles les plus inspirés contre le régime en place. Pour en revenir à IBK, un mois et un jour avant sa « démission », dans un article d’analyse à la UNE, daté du 13 janvier 2000, intitulé "QUI APRÈS ALPHA ?", j'explorai les pistes au sujet de la succession du président en exercice Alpha Oumar Konaré. Et j'écrivis: « IBK ou ATT ! Voilà la seule alternative qui revient dans les causeries de salon. Comme si nulle autre possibilité n’était envisageable. Or ni l’une, ni l’autre solution ne nous paraissent être l’idéal pour ce pays… Eh, oui ! Rien ne sert de se leurrer. Si jamais aucune autre piste n’est explorée hormis l’équation IBK-ATT, LES MALIENS S’EN MORDRONT LONGTEMPS LES DOIGTS. » Et plus loin, après avoir invité la classe politique à puiser dans les forces vives du pays, je conclus : « Et nous espérons qu’il en sera ainsi. Sans quoi, l’unique alternative IBK-ATT, serait DRAMATIQUE pour ce pays.»
Je revins encore là-dessus dans un billet satirique daté du 27 MARS 2000, intitulé "Y A-T-IL ENCORE UN HOMME D’ETAT AU MALI ?" pour tirer sur la sonnette d'alerte.
Ensuite, j'aperçus IBK un dimanche après-midi du côté de la cité du Niger, alors que je me faisais remorquer par un voisin et un grand fan de mes articles. Ce dernier s'empressa d'aller rejoindre le potentat déchu et lui dit qui je suis. On eut alors l'occasion d'échanger une poignée de mains. Et je sentis sa main fraîche et douce comme celle d'un nourrisson, attestant de sa bonne santé physique et mentale qu'on pouvait déjà voir sur sa mine radieuse. Cela me donna encore l'occasion d'écrire un billet, intitulé "ATTENTION! IBK N'EST PAS ENCORE MORT!", dans lequel je fis le compte rendu de ma rencontre avec lui, ajouté à d'autres informations que j'avais sur lui. Et j'affirmai que le fait de ne plus être au pouvoir lui a été très bénéfique, en lui donnant la chance de se régénérer. Et qu'il est maintenant prêt à prendre le pouvoir. Un lecteur du journal dit au directeur de publication, Cheick Fanta Mady Keita (paix à son âme), que je ne connais pas la politique, vu que la relégation d'IBK par AOK l'avait définitivement écarté du chemin du pouvoir. Il n'était pas le seul à penser ainsi. Je dis à Cheick Fanta Mady: « C'est simple! Le temps nous le dira.» Mais, Cheick Fanta Mady est, hélas, mort la même année, dans des circonstances nébuleuses, dans la fleur de l'âge, sans avoir l'occasion d'entendre le verdict du temps. IBK, écarté de la présidence en 2002 par la fraude au profit d'ATT, est plébiscité en 2013 (suite au putsch perpétré contre le même ATT), puis reconduit frauduleusement en 2018, aux dépens de Soumaïla Cissé (porté disparu en ce moment). Et rattrapé par son destin d'homme calamiteux, constamment contesté. Et, c'est le Mali et les Maliens qui en font les frais aujourd'hui.
Je finirai par une révélation qui m'a été faite dans un rêve en 2013, avant l'investiture d'IBK. Dans mon rêve, on est venu me dire qu'IBK a été neutralisé par un certain MANUEL. Et je le voyais embarquer dans une camionnette dans laquelle on l'emportait sur le Pont des Martyrs. Trois ans et poussière après, la France élit EMMANUEL MACRON comme président. Et j'espère bien qu'il est le MANUEL de mon rêve qui va décider IBK à quitter le pouvoir. Sinon, comme j'ai eu à l'écrire sur Twitter ou sur Facebook, IBK et sa famille risquent de subir le même sort que ROBERT GUÉI de la Côte-d'Ivoire. Et je ne le souhaite pas. Vivement que le jeune Manuel Macron convainque son vieux « compatriote » IBK de s'éloigner du Mali, en prenant le chemin de l'exil, ne serait-ce que pour un temps. Le temps de laisser les sentiments de colère et de frustration s'assoupir. C'est le moindre mal pour lui et pour les Maliens.