mercredi 19 août 2020

DÉPART DU PRÉSIDENT MALIEN IBK: COUP D'ÉTAT OU MISE EN SCÈNE?


Tuons tout de suite le suspense en disant que la question n'est que pure figure de rhétorique. Car, en l'occurrence, il n'y a point de coup d'État. Certes, l'arrestation du président malien Ibrahim Boubacar Keita, le mardi 18 août 2020, avec tambour et trompettes, avait toutes les allures d'un coup d'État aux yeux d'observateurs non avertis. Mais, en s'y attardant un tant soit peu, on se rend compte que c'était une solution bien concertée pour décanter une situation intenable et contenter tout le monde. Y compris le principal intéressé IBK, empêtré dans un piège politique dont il voulait se soustraire, en sauvant la face et les meubles. Comme on peut le constater dans son discours de démission dans lequel il disait: « Si aujourd'hui il a plu à certains éléments des nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ? Je ne peux que m'y soumettre, car je ne souhaite qu'aucun sang soit versé pour mon maintien aux affaires.» Autrement dit, comme l'armée s'y est mêlée, je n'ai d'autre choix que de partir, en évitant un autre bain de sang.
Bien avant ce discours de circonstance du président déchu, certains internautes maliens affirmaient que ce « coup d'État » a été orchestré par IBK lui-même, pour ne pas perdre la face devant la CÉDÉAO (Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest). Ce n'est pas entièrement faux. Cependant, l'idée vient de plus haut qu'IBK. Nous ne doutons pas qu'elle vient de la France. On pouvait déjà la pressentir dans un précédent article ("POURQUOI MAINTENIR IBK ALORS QU'IL EST DANS L'INCAPACITÉ MANIFESTE D'EXERCER LE POUVOIR?" ) dans lequel nous faisions référence à un article de "Monde Afrique" (" AU MALI, L'AVENIR INCERTAIN DU PRÉSIDENT IBRAHIM BOUBACAR KEITA") faisant état de la défiance des « partenaires occidentaux» vis à vis du président sortant, à cause de sa versatilité. Mieux que cela, l'ancien ambassadeur de France au Mali, Nicolas Normand, dans une entrevue accordée à "Mali Actu", en date du 7 août 2020, affirmait sans ambages qu'on est « à la croisée des chemins » et que « si la situation se dégradait, peut être que des militaires essaieraient d’assurer une certaine continuité de l’État devant le chaos qui s’instaurerait.» Le diplomate français ne pouvait être plus explicite. Et, surtout, il parlait en connaissance de cause.

En un mot, compte tenu de la crispation de la situation, ce « coup d'État », qui n'en est pas vraiment un, faisait partie des options pour sortir de la crise. Il est bienvenu et a été concocté pour aboutir à une sorte de catharsis sociale. Des militaires improvisés en acteurs de cinéma qui jouent leur rôle à la perfection, en tirant des coups de feu à Kati (faisant penser à une mutinerie), puis se mettant à défiler dans la ville, au milieu de manifestants avec lesquels ils sympathisaient, en échangeant sourires, tapes et poing levés. Avant d'aller cueillir IBK et son Premier ministre Boubou Cissé qui les attendaient sagement à la résidence présidentielle. Puis les emportant au camp militaire de Kati, sans grabuge, dans une ambiance plutôt bon enfant. Rien qu'à voir les photos des protagonistes à leur arrivée à Kati, on se rend compte qu'il n'y avait pas péril en la demeure. Et pour clore ce scénario, merveilleusement ficelé, le discours émouvant d'un IBK qui fait peine à voir, compte tenu de sa vieillesse et de sa faiblesse. De quoi faire taire, pendant un temps, toute rancoeur qu'on pouvait nourrir à son égard. Et susciter la pitié ou la compassion dans les coeurs les plus endurcis!

Il n'y a pas à dire, ceux qui ont élaboré ce scénario de putsch ont fait preuve d'un génie à saluer. Parce qu'au delà de la résolution de la crise politique, ils ont réussi à réconcilier un peuple avec son armée, en perte de vitesse face aux terroristes qui écument le septentrion et le centre du pays, en y semant dégâts et désolation. L'armée malienne, tous corps confondus, est peut-être la grande gagnante de cette opération de charme. En ralliant le combat du M5-RFP, elle redore son blason en apportant l'accalmie et l'espoir dans les coeurs. Et le nom de Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) que s'est donné la junte militaire n'est pas usurpé, car elle s'est mise du bon côté de l'histoire en reprenant dans son discours la liste des calamités qui accablent le Mali en ces temps de turbulences.

Et si jamais vous doutez de la réalité de cette mise en scène, reportez-vous au coup d'État, qui était un vrai, perpétré contre ATT (Amadou Toumani Touré) en 2012. Ce n'étaient point des coups de sommation pour distraire le public, c'étaient des coups de canon qui ont été tirés sur le palais présidentiel, fracassant des blocs de béton, obligeant le locataire de Koulouba à fuir sur le dos de son garde de corps, en dégringolant de la colline du pouvoir. C'étaient des barrières militaires qui étaient parsemées un peu partout aux alentours de l'ORTM (Office de Radio-Télévision du Mali). C'étaient des gens qui fuyaient en traversant le Pont des Martyrs. C'étaient toutes les radios de la capitale qui ne pouvaient plus retransmettre. Et la télévision nationale sous silence radio jusqu'à une heure très tardive de la nuit. C'étaient des militaires ivres, torses nus, qui, dans la chaleur de la nuit, tiraient en l'air et projetaient d'aller prendre des hommes politiques (dont Soumaïla Cissé) et de venir les traîner sur le goudron…

Si vous en doutez encore, sachez que quand il y a coup d'État, il n'y a pas besoin de démission du président déchu. Dans le cas d'ATT, la lettre de démission a été exigée par la Cédéao, bien longtemps après le putsch. Rien que pour sauver la face. Et exorciser les démons du pronunciamiento qui guettent les présidents illégitimes d'Afrique.

Toujours est-il que le départ d'IBK est la réalisation d'un rêve prémonitoire que j'avais fait en 2013, avant son investiture, comme je le rapportai dans un précédent article: "ANALYSES ET VOYANCE POLITIQUES (2e Partie): LA FAILLITE D'IBK". Pour finir, je fais un petit clin d'oeil complice, pouce levé, au président français Emmanuel Macron, sans doute le dénommé "Manuel" de mon rêve prémonitoire qui aurait neutralisé IBK, habillé de blanc, en l'emportant dans une voiture blanche. Mystères de la nature!
MF Kantéka