mardi 4 août 2020

ANALYSES ET VOYANCE POLITIQUES: QUAND LE TEMPS DONNE RAISON À MES ÉCRITS SUR IBK ET CONSORTS (I)



Le 15 juillet dernier, soit un peu plus de deux semaines auparavant, je rafraichissais les mémoires en faisant ressortir des articles datant du début de règne du président malien d'IBK (Ibrahim Boubacar Keita), prédisant sa fin. Aujourd'hui, je remonte plus de vingt ans en arrière, en faisant sortir de mes archives des articles que j'avais écrits sur lui quand il était encore le Premier ministre d'AOK (Alpha Oumar Konaré) et après sa disgrâce. Et pour cela, j'ai pris la peine de recopier ces articles qui sont sur support papier, mêlant le pamphlet, l'analyse et la prospective politique. L'exercice en vaut la peine, car il m'offre l'occasion de numériser certains de mes écrits dans le but d'en faire un recueil de textes, destiné à l'enseignement dans les écoles de journalisme et de sciences politiques.

Premier article: IBK SE TROMPE-T-IL D'ÉPOQUE?
(publié le jeudi 27 mai 1999 dans "Le Républicain", à Bamako)


« Vous devez coopérer avec nous. Nul ne doit chercher à déstabiliser le Mali. Ne gérez pas la rumeur. Venez chercher l'information. Nous avons créé la cellule gouvernementale d'information pour cela…»

Ainsi s'adressait à la presse réunie, à l'occasion de la journée de restitution de la Table ronde de Genève, Le Premier ministre IBK, pointant l'index et sur un ton comminatoire.
C'était du IBK tout craché. Les propos dérangeants, le ton et la gestuelle agressifs, le regard furieux. Tout y était. En effet, l'homme, tout en s'attribuant les vertus d'un démocrate, cache mal son goût du commandement. D'aucuns disent qu'il ressemble étrangement au dictateur déchu, le Général Moussa Traoré. Mis à part son « latin de foire » (car l'homme aime à s'exprimer dans un vocabulaire suranné et emphatique) et sa petite taille. Ce qui n'est pas d'ailleurs faux. Car, IBK a l'art de donner la chair de poule quand il s'exprime. À croire qu'il a une matraque à la place du verbe. Ses balourdises verbales ont fortement contribué à le rendre impopulaire jusque dans l'entourage du Président de la République dont certains proches collaborateurs ne font pas mystère de leur hostilité à son égard. Nous avons pu entendre des propos comme: « Rarement au Mali, sous la IIIe République, un homme avait réussi à réunir un tel consensus autour de sa personne. Mais, il a réussi à gâcher tout le capital de confiance et de sympathie accumulé en sa faveur par ses sorties malheureuses.» Ceux-ci n'hésitent pas d'ailleurs à affirmer que « si jamais le Président AOK s'avisait d'ouvrir la voie de la présidence à ce monsieur, c'en est fini du Mali!» Nous n'insisterons pas d'ailleurs sur la nuée de propos crus de ce genre, tenus à son égard. Ces mêmes sources nous apprennent que le Président AOK aurait laissé entendre que « le pouvoir lui est monté à la tête », quand on lui a apporté que le Premier ministre bourgeois a l'habitude de « couper la route » aux passants, même pendant le mois de ramadan, lors de ses déplacements.

Tout ceci, en définitive, pour dire qu'IBK se trompe d'époque. Ayant un goût morbide de la puissance, il confond la conception totalitaire et la conception démocratique du pouvoir. Premier ministre, nommé par simple décret, n'ayant aucune légitimité populaire et révocable à souhait, il agit déjà comme un seigneur sur ses terres. Qu'adviendra-t-il le jour où il siégera à Koulouba? S'interrogent bon nombre de citoyens avec angoisse. Certains confrères, à cette idée, pensent s'exiler, car, pensent-ils: « celui-là va tous nous foutre en taule.» Ce naturel autoritaire serait plus compréhensible si IBK avait conquis le pouvoir par les armes. Et seulement dans ce cas, il pourrait à sa guise proférer des menaces, en agitant l'index contre les journalistes et la nation entière. Mais, de grâce, dans le contexte actuel où les gouvernants sont censés émaner du choix du peuple, qu'il mette de l'eau dans son vin.

Un journaliste n'est nullement tenu de se fier uniquement aux sources institutionnelles. Mieux, il doit même s'en méfier, car les sources proches du pouvoir ont des experts en communication dont la tâche consiste à orienter le journaliste, dans le but d'occulter les erreurs du gouvernement. Aucun État au monde n'est prompt à se mettre à nu devant un journaliste. Le confrère qui se bornera à consulter exclusivement les sources étatiques devra se contenter de faire un journalisme de promotion de l'État. Pourra-t-il alors se considérer comme un vrai journaliste?

Signé: Mountaga Fané

NB: Quand je vins présenter cet article au directeur de publication, Ibrahim Traoré, je n'étais pas sûr qu'il allait le publier, compte tenu de sa tendance à censurer mes papiers. Mais, à ma grande surprise, après lecture du texte, il s'est écrié: « Je prends l'article. Je le prends. Je le prends.» Et il l'a mis à la UNE du Républicain, à ses risques et péril. Le propriétaire du journal, Tièbilé Dramé (actuel ministre des Affaires étrangères d'IBK), l'a vivement critiqué. Tièbilé, qui me snobait, a même jugé nécessaire de m'adresser la parole, pour la première fois, dans un mélange de fureur et d'admiration. Il craignait qu'on dise que c'est lui qui a commandité l'article. Cependant, il insista pour qu'on mette mon nom dans l'ours du journal où j'étais considéré un peu comme un « étranger», vu que ma plume ne correspondait pas à sa ligne éditoriale, très proche du pouvoir. Tièbilé Dramé était pris dans un sacré dilemme, vu qu'au niveau de Koulouba, mon article fut vivement apprécié, selon les échos que j'en ai eus de la part de mes « amis », collaborateurs du Président AOK. Son attaché de presse de l'époque (que j'ai connu en France et qui est un diplomate aujourd'hui) m'a dit qu'il a passé la journée à faire des photocopies de l'article pour les distribuer au personnel de la présidence qui faisait la queue pour s'en procurer. Un autre proche collaborateur d'AOK, un poète (paix à son âme) et un ami, malgré la différence d'âge, d'habitude très réservé, a trouvé que l'article était trop court et qu'il aurait voulu que je consacre plus de longueur sur les dérives d'IBK, dans le même style. Au niveau des confrères d'autres journaux, je reçus aussi de vives félicitations. J'appris aussi d'un confrère, ami de Tièbilé et d'IBK (dont il est un proche collaborateur aujourd'hui) que ce dernier faillit tomber en syncope à la lecture de l'article et s'écria: « Qu'est-ce que j'ai encore fait?» Et un médecin serait venu pour l'ausculter. La femme d'IBK aurait dit à ce confrère: « Comment peux-tu laisser publier un tel article, alors que tu travailles dans le journal?» Ce confrère s'évertua à me sermonner, en essayant d'y mettre des caresses… Un autre confrère d'un autre journal me dit, avec un accent prémonitoire, que je ne pourrai plus rester au Mali, après un tel affront à l'homme fort du pays. Il a eu raison, car un an et demi après, je prenais le chemin de l'exil. Mais, lui-même est en exil aujourd'hui, à cause du régime d'IBK qui a attenté à sa vie pour une tragique affaire que je ne mentionnerai pas ici. Au niveau de ma famille, j'ai eu quelques soucis… J'ai aussi passé des nuits à sortir avec une carabine à plomb dans ma voiture, lors de mes promenades, dans le but de faire peur à d'éventuels agresseurs et enleveurs de journalistes…
Je reviendrai pour la suite dans le 2e volet...